Philippe Mille, chef du Domaine Les Crayères - Podcast Les Nouveaux Explorateurs | Agence Discovery Reims

Pour ce nouvel épisode, j’ai le plaisir de rencontrer Philippe Mille, chef étoilé du Domaine Les Crayères à Reims.

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"T'ES PAS FAIT POUR CE MÉTIER, IL VAUT MIEUX QUE TU ARRÊTES" - PHILIPPE MILLE - CHEF DU DOMAINE LES CRAYÈRES

Je suis ravie de vous présenter Philippe Mille car il fait partie de ces chefs au parcours hallucinant. Il s’est formé et a travaillé dans les plus grands restaurants comme Le Drouant, le Pré Catelan, le Ritz ou encore Le Meurice. Il a un palmarès qui est tout aussi important : Bocuse de Bronze en 2009, 2 étoiles au Guide Michelin en 2011 et 2012 pour le Domaine Les Crayères et Meilleur Ouvrier de France. Philippe Mille est clairement un homme de challenge. 

Pendant l’interview, il nous parle :

  • De son rapport avec le champagne et la Champagne
  • Des relations qu’il entretient avec ses 64 producteurs
  • De la dimension artistique qu’il distille dans sa cuisine
  • De son rapport aux réseaux sociaux
  • De la transmission et de l’éducation qu’il travaille toute l’année avec ses interventions et le trophée Mille
  • De ses prochains projets en cuisine et en écriture
  • Et de pleins d’autres sujets.

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Je vous laisse tout de suite en compagnie de notre invité et je vous souhaite une bonne écoute !

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POUR SUIVRE PHILIPPE MILLE ET LE DOMAINE LES CRAYÈRES

LE LIVRE DU CHEF PHILIPPE MILLE - DOMAINE LES CRAYÈRES

Le Goût à l'état brut - Chef Philippe Mille | Agence Discovery
"Le goût à l'état brut" - Edition Albin Michel
Extrait du livre "Le Goût à l'état brute" - Chef Philippe Mille | Agence Discovery
Extrait de "Le goût à l'état brut" - Edition Albin Michel

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L'INTERVIEW DE PHILIPPE MILLE - DOMAINE LES CRAYÈRES

Bonjour Philippe, bienvenue sur le podcast des Nouveaux Explorateurs. Merci d’avoir accepté l’invitation. On se trouve actuellement, que je ne dise pas de bêtise, dans la partie restaurant étoilé ou dans la brasserie ?

Bonjour, alors là on se retrouve dans le bar du restaurant étoilé, la Rotonde. Un bar qui est encore dans le style du château, avec cette belle rotonde qui donne sur le parc.

Pour celles et ceux qui n’auraient pas eu l’occasion de vous connaître ou de venir au restaurant, est-ce que vous pourriez-vous présenter rapidement ? J’ai déjà fait une petite présentation dans l’introduction, mais qui vous êtes et quel est votre parcours ?

Philippe Mille, Chef du Domaine les Crayères. Je suis arrivé sur le domaine en 2010. Et avant, j’ai fait un parcours sur Paris. Moi, je suis originaire de la Sarthe, du Mans exactement. Et puis, j’ai fait un peu mon compagnonnage comme ça, dans différentes maisons. En passant par Le Drouant, Le Pré Catelan, Le Scribe, Le Meurice, Le Ritz et puis cette belle maison, ce beau domaine, les Crayères.

La première question qui m’est venue à l’esprit quand j’ai préparé l’interview. Je me suis dit « On vous contacter pour prendre le poste pour un jour et un repas qui est important qui est le 31 décembre. L’envers du décors… Comment on se prépare à un changement de poste aussi radical et à une prise de poste à un moment important ? Déjà mangé aux Crayères, c’est un moment important, mais quand c’est le 31 décembre, on s’attends à quelque chose d’encore mieux. Comment vous l’avez vécu ce premier service ?

Vous avez bien travaillé, car j’ai dit 2010. En fait, c’est fin 2009. Exactement même, au 31 décembre 2009. Mon premier repas. Et premier repas autour du champagne. Très compliqué. Très compliqué parce que comme 70 % des Français, le champagne, c’est l’apéritif, ou alors sur le gâteau d’anniversaire. Et là, pas du tout. Là, il fallait travailler autour du repas entier et sur un 31 ou justement, il faut se mettre sur son 31.

Du coup, c’était un travail très rapide de connexion avec le chef sommelier et voir un peu comment m’apprendre rapidement les premiers trucs pour déguster et essayer de trouver le lien avec les plats. Et après, ça a été ce déclic pour continuer justement ce travail. Et ça a été un travail de longue haleine pendant plus de deux ans. Aller visiter les Maisons de Champagne, les caves, les vignerons. Essayer de comprendre justement ce qu’était ce vin de gastronomie. Et c’est génial.

Philippe Mille, Chef du Domaine les Crayères. Je suis arrivé sur le domaine en 2010. Et avant, j’ai fait un parcours sur Paris. Moi, je suis originaire de la Sarthe, du Mans exactement. Et puis, j’ai fait un peu mon compagnonnage comme ça, dans différentes maisons. En passant par Le Drouant, Le Pré Catelan, Le Scribe, Le Meurice, Le Ritz et puis cette belle maison, ce beau domaine, les Crayères.

C’est ce que j’ai lu. A plus ou moins 100 références, c’est à peu près 800 à 1 000 références champagne. 2 000 en tout en vins sur la cave. Comment on peut accorder tous ces produits avec un nombre de plats limités par an ?

C’est vrai. On est quasiment à 1000 références de champagne, ce qui est énorme. Après, on se dit « Ambassadeur de Champagne » parce qu’on est en plein cœur de ce lieu. Le travail en fait, c’est plus les sommeliers, j’avoue, sur ce côté là… Quand je vais faire des plats, je vais leur faire goûter, faire goûter aux équipes. Voilà, par rapport à ça, cette note épicée, ce côté iodé, ce côté brioché qu’il peut y avoir dans le plat…

Et eux, ils ont des petits tiroirs par rapport aux dégustations qu’ils ont déjà fait. On va s’orienter plus sur les Chardonnay, ok. Par contre, quel style de Chardonnay… Voilà. Après, on va retrouver les Maisons et ils vont associer. Et après c’est un travail aussi vis-à-vis du client. Le client, on perçoit comment il est. Sa personnalité. Ça y joue vraiment sur la dégustation.

Du moment, quel jour on est, le midi, le soir et tout ça, ça joue réellement sur cet accord met et champagne. Vous allez peut-être goûter un plat… Je dis un plat au hasard, un carpaccio de langoustines qui va être associé avec tel champagne. Et bien, le mardi ou le mercredi. Et le samedi, il va faire beau dehors, on va peut-être vous proposer un autre champagne. Et si c’est le soir, peut-être un autre champagne; Si vous êtes en milieu d’affaire, tel champagne et puis, si c’est par exemple en couple, tranquillement, on va aussi orienter aussi sur un autre champagne.

Comme quoi… Et ça, je l’ai appris en allant visiter les Maisons de champagne. Le champagne qu’on va déguster au bar, qu’on va déguster au restaurant, qu’on va déguster chez soi ou dans la cave, il a pas tout à fait le même goût et c’est bizarre. Je vais peut-être passé pour… Mais c’est réellement ça. Et donc du coup, c’est là aussi leur travail aux sommeliers de pouvoir s’adapter à ça. Et je trouve ça magique, vraiment magique.

Et puis, il y a l’inverse. Il y a le vigneron ou la Maison de Champagne qui vient aussi dire « Aujourd’hui, j’ai des clients très importants. Je veux leur faire découvrir ce champagne là, ou cette cuvée. Qu’est-ce que vous pouvez faire ensemble, ce plat, ce pairing ? ». Et voilà, on va déguster, travailler par rapport à ce champagne. C’est le travail inverse.

Si j’ai bien vu, il y a avait monsieur Jamesse à l’époque qui a été remplacé par Martin Jean et Mélina Gendarme. J’ai trouvé ça assez étonnant puisqu’à l’époque c’était le directeur monsieur Fort qui avait le recrutement en expliquant que ça aurait pu être quelqu’un de beaucoup, une femme ou un homme beaucoup plus d’expérience, mais il a fait le choix d’un duo beaucoup plus jeune. Comment vous travaillez avec eux ? On va en parler après, mais vous êtes beaucoup sur la transmission et vous parlez de ces pairing avec le champagne, avec les plats. Comment vous travaillez avec une équipe beaucoup plus jeune ?

En fait, ni plus, ni moins. Comme on m’a fait confiance à moi aussi. En arrivant ici, je n’étais pas chef avant. J’étais plus jeune. Beaucoup plus jeune que maintenant [Rire]. Une dizaine d’années de moins. Et on m’a fait confiance. Et puis, j’ai grandi avec cette maison. Bien sûr, j’ai eu mon bagage, tout ce que j’avais appris auparavant. Mais je l’ai exécuté ici. J’ai montré mon savoir-faire. Et bien, ni plus ni moins.

On fait confiance aux jeunes aujourd’hui. Ils ont appris des choses. Ils ont été goûtés des champagnes. Ils ont été visités.. Mais pas que les champagnes. Ils ont été aussi dans différents vignobles. Et aujourd’hui, ils sont là pour montrer, pour grandir justement avec cette maison. Et moi, je les accompagne par rapport à ça. Et je m’intéresse. J’ai mon expérience de ces quelques années sur le champagne aussi et ça me permet de travailler beaucoup en connexion avec eux, plus qu’il y a 10 ans, bien entendu. Et j’évolue, bien entendu, avec eux de ce côté-là.

Je me posais la question. C’est la famille Gardinier qui vous a contacté pour la prise de poste. Ils vous ont dit quoi au téléphone ? Vous avez carte blanche, allez-y.

Là, sur les différents rendez-vous, au fur et à mesure. Étonnement, cette maison, je la connaissais. J’étais commis à l’Aubergade, à Pontchartrain près de Versailles. J’ai fait quatre ans là-bas. Et j’avais une vingtaine d’années. Et premier restaurant trois étoiles que j’avais fait, c’était les Crayères. Vraiment, j’avais économisé à l’époque… J’étais commis et je n’avais pas non plus un gros salaire et du coup, j’avais économisé pour pouvoir me faire justement, un restaurant. 

Avec les ami·e·s avec qui on avait décidé de faire ça, ils avaient une connexion justement avec quelqu’un qui travaillait ici. Je trouve ça… quand on rappelle… C’est ça. Et quand, en 2009, on me rappelle « Nous sommes les propriétaires des Crayères… ». « Oui, oui, je connais ». Bref… « On vous propose ce poste ». C’est pas possible. C’est étrange, mais c’est superbe. Et j’ai dit « Oui, je connais très bien cette maison ». Et j’avais…

Je vois encore Monsieur Boyer de temps en temps, je lui avais montré les photos avec lui à l’époque ici. Il me dit, c’est vraiment bizarre. Comme quoi, si j’avais su à l’époque que j’allais reprendre ce poste ici. On m’a donné, ils m’ont donné carte blanche ici. Ils voulaient que je m’exprime correctement par rapport à mon état d’esprit, ma philosophie, mon savoir-faire.

Et puis moi, j’ai continué avec ça. Surtout en m’appropriant la région, ce domaine, le champagne, la Champagne. Parce qu’on parle du champagne, mais aussi les producteurs de produits, de légumes, de safran, des agneaux. Voilà, plein de choses autour. Moi, j’ai 64 producteurs autour avec qui je travaille.

Champenois d’adoption un peu. 64 producteurs. Comment vous travaillez ? J’ai vu que vous étiez ambassadeur de la dinde rouge avec Jean Michel Devresse, il y a tout ce travail que vous faites, vous parlez des bijoutiers de la Champagne. Comment vous la travaillez cette relation, que ce soit avec le producteur de légumes, le producteur de champagne ou la maison de négoce ?

Je vais vous parler de la démarche dans un premier temps. Moi, je suis originaire de la campagne. De la Sarthe. J’ai été élevé dans la ferme, les vaches, les cochons, les poulets, les légumes du potager, le verger… Enfin tout. Après, j’ai travaillé sur Paris pendant plus d’une quinzaine d’années et je n’ai pas retrouvé ça. Je n’ai pas trouvé justement cette proximité avec l’agriculture.

Parce que voilà, Paris est une grande ville. On achetait beaucoup sur Rungis qui était la centrale. Puis, après Rungis distribuait sur Paris. Et quand je suis arrivé ici. Là, je me retrouve. J’ai l’impression de me retrouver un peu dans ma campagne. Et donc du coup, j’ai été déambulé comme ça dans les différents chemins. Aller à la rencontre des agriculteurs. 

Première fois, je téléphonais « Monsieur Mille, Chef du domaine des Crayères. Bip, bip, bip… ». Mais qu’est-ce qui se passe, c’est bizarre ? Qu’est-ce que j’ai dit ? Et en fait, le producteur retéléphonait. Ça m’est arrivé trois fois. Ils ont retéléphoné sur les Crayères pour savoir si j’étais bien… Si ça n’était pas un canular. Parce qu’ils n’ont jamais eu cette démarche. Et après, quand j’ai rappelé, j’ai dit « Ok, j’aurais peut-être pas dû… Voilà, je vais venir directement ».

Arriver chez eux. Le fait que j’aille chez eux, dans le fin fond des campagnes, ils se disent « Lui, il est peut-être motivé en fait et il a peut-être réellement envie ». Ils ont compris aussi. Je suis originaire de la campagne, donc ils ont compris que j’avais le même dialogue qu’eux, la même façon, de voir les choses. Du coup, ça a accroché tout de suite. Un très bon feeling avec tous les artisans, les producteurs. Et puis, on a travaillé au fur et à mesure donc, ils m’ont fait découvrir leurs produits.

Je les ai cuisiné dans nos cuisines avec mes équipes. Très bien. On a fait les produits comme ça. Il y a des choses que je voulais faire évoluer. Et puis, j’ai fait le chemin inverse, c’est-à-dire que nous, on a été aussi avec toutes les équipes. J’étais la première fois tout seul, après avec toutes les équipes là-bas pour qu’ils comprennent aussi leur travail en amont. Et puis le chemin inverse, le côté… C’est-à-dire que j’ai fait venir aussi le producteur ou l’artisan dans la cuisine, déguster leurs produits une fois travaillés.

Et là, encore une fois, ça met des étoiles un peu à tout le monde dans les yeux, parce que c’est… de voir justement leur transformation de produits. Le pourquoi du comment ? Comment c’était valorisé ? Et puis après, quand on leur dit « Voila, moi cet agneau, il fait 25 kilos. Il a un bon goût d’agneau, peut être un peu trop typé. Est-ce qu’on ne peut pas avoir plutôt un agneau, un laiton ? Voilà, qu’on soit plutôt sur les 16-17 kg, une chair un peu plus blanche. Parce que j’ai une clientèle étrangère. Ils veulent une viande goûteuse, moelleuse, mais pas trop. Pas trop typée non plus ».

Donc leur faire comprendre. Le fait qu’il y ait cet échange, ça a été rapide derrière. C’était rapide. Ils ont compris justement le travail qui était fait d’un bout à l’autre et le respect, justement, de ce travail qui avait été fait en amont et que nous, on continue jusqu’au moment… Jusqu’au client. Parce que ça, on l’explique aux clients. On explique cette démarche aux clients, ce qui est normal.

Les méthodes, on ne devrait même pas les expliquer. Mais aujourd’hui, on a besoin de justifier que ce produit était élevé comme ci, comme ça. Que les légumes, ce sont les légumes bio qui sont… accroupis pour enlever chaque brin d’herbe à côté parce qu’ils ne mettent pas de désherbant et ne mettent rien. Il n’y a pas de produits. Ils sont six dans l’entreprise et à chaque fois que j’y vais, ils sont quasiment accroupis pour pouvoir juste enlever tout ça.

Il y a un un maître potager au Domaine Les Crayères ?

On a notre potager au fond du parc aussi. Nous, surtout ce qui est « pousses de salades » et les herbes. Mais on a un bel espace, un très bel espace et donc on a un ancien maraîcher qui a créé justement ce jardin il y a quelques années et qui exploite au fur et à mesure. Et tous les six mois, il vient nous voir et il nous dit « Là, ça se termine. L’année prochaine, qu’est-ce qu’on met en place ? Qu’est-ce qu’on change ? Qu’est-ce qu’on fait évoluer ? Moi, j’ai dégusté ça un jour. Je vais essayer de retrouver une graine ».

Il nous fait évoluer aussi comme ça. Et puis, on joue, on joue parce qu’il dit ça, c’est très bien. Le cerfeuil, le persil, voilà… « Moi, j’ai vu aussi des feuilles d’huître, est-ce que tu es capable ? », « Ah, ben si. Mais elles sont déjà là-bas, au fond. Mais je vous l’ai pas encore dit ».

Parce que c’est un vrai travail comme ça aussi. Et puis, encore une fois, c’est ce dialogue entre le cuisinier et le producteur ou l’artisan qui est très important. Apprendre à se connaître, c’est apprendre aussi la façon que tout le monde travaille et ça fait évoluer beaucoup plus rapidement.

C’est quoi votre démarche si un producteur, un vigneron veut vous présenter ses produits. C’est vous qui allez vers lui ? C’est lui qui peut vous contacter ?

Mais pour être franc, au début, c’est moi qui allais vraiment chez chaque producteur. J’allais au marché au Boulingrin, je faisais mon tour. Tiens, lui il a quelque chose d’un peu différent. J’irai le voir demain ou après-demain. Et puis, comme ça… bien sûr, je regardais un peu, je me renseignais à droite, à gauche ce qui se faisait. Ce qui ne se faisait pas. Et puis, au fur et à mesure, le bouche à oreille a fait que c’était le contraire. C’était les producteurs qui venaient.

« Je sais que, du coup, vous travaillez des producteurs. Alors moi, je suis ici, je fais ça. Est-ce que ça peut vous intéresser ? ». Je trouve ça génial, moi. Je trouve ça génial. Une histoire avec le safran. Madame Bernier, qui ont leur métier. Monsieur et madame Bernier qui ont leur métier à côté. Ils ont hérité d’un terrain. Du coup, ils ont mis des crocus. Il y a quelques années maintenant, il y a 8 ans, 9 ans, ils ont planté quelques crocus. Et ils sont venus un jour, fin octobre, avec une petite fiole, des pistils de safran. Voilà, c’est ce qu’on a récupéré cette année.

« On avait une centaine des fleurs. On voulait essayer. Est-ce que vous pourriez tester, ça ? » Top. Mais déjà ce safran, vous ne me le donnez pas, je vous le paye. Par contre, avec cet argent, vous me remettez d’autres crocus. Et puis, on va faire le safran pour les Crayères. Du coup, aujourd’hui, on a 800 grammes de safran. C’est énorme. 800 grammes. Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais trois petits pistils par fleur, ça ne pèse pas grand chose. Je peux vous le garantir.

Donc voilà, ça a permis de créer une émulation autour de ça. Et puis son mari Sébastien, qui lui fait du miel, il a son métier aussi à côté. Mais une passion à côté qui est le miel avec des ruches. Du coup, on a mis des ruches aussi au fond du parc pour faire notre miel. Le miel des Crayères, bien entendu. Et puis, il était marié dans la vie. On a dit « On va vous marier aussi sur le produit » et on a fait un miel de safran.

Un miel au safran qu’on propose au petit déjeuner pour les clients de l’hôtel et qui adorent. Et je me dis au début « Peut-être que ça va être un peu trop fort, un peu trop ». C’est comme si on avait mis des feuilles d’or dans du miel. Et puis, en fait, non, ça a un vrai intérêt. Ça a un parfum, c’est très fleuri et c’est agréable le matin, très agréable le matin et ça plaît beaucoup. Et là, on n’a pas assez de production. Mais beaucoup de clients disent « Voilà, on voudrait repartir avec un pot de miel, celui-ci ». Il y a plein d’histoires comme ça avec chaque producteur, chaque artisan.

Justement, j’ai sorti un livre en 2016 – « Le goût à l’état brut ». Et justement, c’est pour répertorier un peu tout ce travail et mettre en lumière tous ces artisans. Parce que, comme vous disiez tout à l’heure, c’est des pépites et des diamants que j’ai découvert un peu partout et qu’on a… On a ciselé ensemble pour pouvoir en faire vraiment des vraies valeurs.

Il y a une grosse dimension artistique que j’ai retrouvé dans les articles où vous intervenez. Je voulais en savoir plus un petit peu. Vous parlez de dessiner vos plats avant de les réaliser ? Vous crayonnez réellement le plat sur la feuille avant même de tester en cuisine ?

Oui. Je voyage. Je voyage beaucoup, je roule beaucoup en voiture et je mets la musique. Et puis, c’est là où je m’évade. Je ne devrais pas le dire à la sécurité routière… parce que voilà… Mais du coup, c’est vraiment m’évader. C’est là où je me dis « On va arriver sur les asperges, pourquoi pas faire-ci, pourquoi pas faire ça ? ».

Des fois, je me vois m’arrêter sur les aires de repos et prendre un bout de papier vite fait et crayonner tout de suite. Ce n’est pas marquer les ingrédients, mais c’est crayonner réellement. Faire un croquis d’un plat, d’un produit, d’une association. Et puis voilà, j’ai une petite feuille dans la voiture et des fois, je ressors puis je les mets dans le bureau, dans la cuisine. Puis là, je refais vraiment des croquis un peu plus structurés.

Et puis, ça me permet de faire croiser mon esprit à mes collaborateurs. C’est pas toujours évident, de dire « Bon voilà, j’ai pensé à faire-ci, on va faire ça ». Moi, je le vois très bien. Le collaborateur le voit peut être pas très bien ce que je veux dire réellement. Et du coup, le fait d’avoir ce croquis, ça fait le lien entre les deux. Ça permet d’asseoir réellement ma vision jusqu’à l’élaboration du plat.

Il y aussi une autre dimension que j’ai trouvé géniale. La partie musique. J’ai vu que vous êtes intervenu sur le Cabaret Vert pour le Trophée Mille, We Art Chef sur lequel vous intervenez également. La dimension musicale est hyper importante pour vous ?

C’est un ensemble, c’est un ensemble. Pour moi… Si je prends le restaurant, le restaurant… On parle de la cuisine, mais c’est aussi la réception. Comment on est accueilli, comment le sommelier a travaillé avec vous, comment le maître d’hôtel vous a présenté les plats, c’est un ensemble. Pour moi, la cuisine, c’est pareil. Ce n’est pas juste cuisiner un produit, c’est comme vous avez dit « le producteur en amont », mais aussi la musique qui peut être associée à ça.

Ça peut être les couleurs qui sont dans l’assiette, donc ça, c’est de l’art. Pour moi, c’est très important. Je vais beaucoup dans les musées, ça m’inspire, ça m’inspire. Je vais pas redessiner un tableau dans mon assiette. Par contre, ce sont les associations de couleurs, ce sont les teintes, ce sont les sculptures. Comment ça a été taillé… 

Tout ça, ça influence énormément sur ma cuisine et c’est pour ça aussi qu’on a créé l’association « We Art Chef ». C’était vraiment des démonstrations de cuisine qu’on voulait pour tout le monde. Démonstrations de cuisine, un chef, un apprenti. Alors ça, c’est vraiment aussi important pour moi, mais aussi avec un groupe derrière qui chante la recette, qui met en lumière un peu la recette. Et puis un dessinateur à côté et qui dessine au fur et à mesure cette recette, ça dure pendant une heure. C’est une belle expérience.

Et puis on a un amphi, les gens regardent pendant une heure et puis derrière, on leur fait déguster ce plat. Des petites bouchées qui sont aussi faites en même temps. Ça permet d’avoir une ambiance, une expérience, mais pas déconnant du tout, bien au contraire. Je trouve que l’humain et les uns et les autres subliment l’ensemble.

Il y a une dimension plus, on va dire « Philippe Mille – la marque » et la partie communication. Aujourd’hui, la marque Philippe, Mille c’est quoi ?J’ai lu que vous aviez fait le grand pas à l’autre bout du monde avec l’ouverture de votre restaurant. Aujourd’hui, c’est quoi un peu la marque Philippe Mille ?

Alors moi, la marque Philippe Mille, dans un premier temps, c’est vraiment les Crayères. Moi, je travaille aux Crayères. Après, oui, j’ai mon identité à côté « Le Philippe Mille, à Tokyo ». Où là, ça fait cinq ans maintenant que j’ai ouvert de ce côté-là. C’était une opportunité. Un pays que j’aime beaucoup. J’y suis allé énormément de fois. Par rapport à la culture, par rapport…

On a des valeurs communes sur le respect et le respect du produit, le respect des personnes. Un ensemble. Cette finesse, la nature, l’art, tout ça. Donc, pour moi, c’était très cohérent d’aller faire un restaurant là-bas avec la même démarche, c’est-à-dire que à chaque fois que j’y vais, j’y vais huit, dix jours. Je vais d’abord aller voir des producteurs. Je sélectionne les producteurs dans telle ou telle région, tel ou tel environnement, découvrir justement… Et puis, pour mettre en valeur ces produits là-bas.

La seule chose que j’ai réellement importée, c’est le champagne. Il est présent là-bas, mais vraiment mettre en place. Justement, on n’est pas sur 800.000 références, on est déjà sur 250 références, ce qui est déjà beaucoup pour le Japon. Ce n’est pas leur culture première. On a réussi à faire ce travail, le même travail qu’ici. Et puis avec, par contre, c’est ma touche de cuisine. Ce n’est pas une cuisine japonaise, c’est ma cuisine personnelle. La cuisine française adaptée au goût.

Quand je dis au goût, on va mettre un peu moins d’acidité. On va y mettre un peu moins de sel. Ils mangent un peu moins salé. Par contre, un peu moins de crème aussi, plus végétale.. Cela n’empêche pas d’avoir beaucoup de poisson. Bien entendu, là-bas, c’est une richesse énorme et ils ont du goût. C’est ma cuisine, mon identité, mais adaptée aussi au pays par rapport à certains produits.

Avec ce que l’on a vécu depuis presque un an avec ces histoires de confinement, les réseaux sociaux ont pas mal bougé. Je me posais la question. Comment vous voyez ça ? Vous avez une communauté de 15 000 followers à peu près sur Instagram. On peut mettre dix ans à construire une réputation et les réseaux sociaux ont cet avantage et cet inconvénient qu’en quelques jours cela puisse monter et en quelques jours cela puisse très vite redescendre. C’est quoi votre rapport aux réseaux sociaux?

De mettre du vrai, de mettre du vrai. C’est quand j’ai quelque chose à dire, quelque chose à montrer. C’est du réel. Voilà, je vais mettre mes plats, mettre mes producteurs. Justement, c’est le moment aussi. Il y a une communauté, ça permet de montrer aussi le travail qui est fait ici, le travail.

J’ai mis sur mon compte au premier confinement tous les producteurs, tous les jours. Un producteur. Le lendemain, la recette qui était associée pour vraiment les mettre en valeur aussi parce que j’en avais besoin. Du coup, ils en avaient réellement besoin. Pour le coup, ils ne sont pas tous très communicants. Ils avaient…

Ils travaillent avec moi parce que j’ai été démarché, mais sinon après il n’y avait grand chose. Alors au moment du confinement, au début, quand il n’y avaient pas les marchés, il y en a qui étaient un peu perdus. Et si eux, ils sont perdus, je vais vraiment les perdre par la suite. Du coup, c’était le moment de les mettre en valeur, les aider aussi.

On a été les aider un peu, leur façon de communiquer ou communiquer à leur place, ou faire du bouche à oreille en disant « Voilà, vous êtes chez vous, mais vous avez besoin de légumes aussi. Moi, j’ai un contact là-bas. Il peut se déplacer, on peut faire un relais ». Voilà, ça c’est ma partie à moi.

Après, il y a tout ce qui est à base de transmission. Je communique beaucoup dessus. Et puis, il y a la vie de l’hôtel. Moi, c’est vraiment beaucoup moins de perso. Je travaille sur le perso, sur les réseaux sociaux. C’est vraiment le côté professionnel qui est mis en valeur.

Vous parlez de suivi et de mise en valeur des producteurs. Ce que j’avais trouvé génial, c’est le casse-croûte des vignerons que vous avez mis en place en 2016. Quel message vous aimeriez faire passer à ces producteurs, en général, à ces producteurs de Champagne par rapport à ce qui se passe aujourd’hui ? Ce serait quoi votre message? Parce que vous êtes en tout cas très proches. J’avais lu plus de 300 à la 4ème édition.

Mais en fait, tout le monde se connaît sans se connaître. Tout le monde a des produits extraordinaires, mais ils n’osent pas goûter le produit du voisin. Et le but de ce casse-croûte des vignerons, c’était « On apporte ce casse-croûte, ce pâté croûte, jambon à la découpe, gratin dauphinois chaud, mais juste tiède comme ça, à manger sur le pouce ». C’était bon enfant. C’était « On se rassemble tous autour de ce comptoir ».

Et c’est ça aujourd’hui. Si les vignerons se mettent tous ensemble, la Champagne restera « La Champagne » avec ses vraies valeurs. Il y a ce côté casse-croute des vignerons. Et puis, il y a l’autre côté aussi. Fin septembre, c’est le « Marché des producteurs », justement, où, là aussi, on rassemble tous les producteurs pour montrer, pour les mettre en valeur par rapport à la clientèle rémoise. Leur dire « Ok, vous pouvez acheter vos produits n’importe quelles grosses structures, mais vous pouvez aussi aller chez les artisans, chez les producteurs et découvrir aujourd’hui ce que c’est et aller chez eux demain ».

We Art Chef le Casse-croûte des vigneron, le Marché des producteurs, les Crayères. En fait tout ce que vous faites, ça fonctionne forcément ?

Ça fonctionne parce que… c’est justement parce que je suis entouré aussi de personnes qui ont la même vision, la même philosophie, la même envie, la même passion et envie de partager cette passion. Je pense qu’à partir de là, ça peut fonctionner si tout le monde est dans la même, la même dynamique. Automatiquement, ça se ressent et on fait voyager justement les personnes sans cela.

Au final, quand on regarde.. Une brigade de 110 personnes entre le restaurant gastronomique, la brasserie et l’hôtel ? Aujourd’hui, c’est quoi le truc de Philippe Mille pour faire progresser ses équipes ?

Continuer. Continuer. Pendant le confinement, on a fait faire des formations, on a dit « C’est bien gentil, mais rester devant la console ou devant la télé dans le canapé pendant quelques mois, je ne sais pas comment je vais retrouver mes équipes derrière ». Donc, du coup, on a fait faire des formations. Formations de cuisine, d’anglais.

Tout ce qu’on pouvait, sur le luxe, sur l’hygiène, sur les allergies, voilà plein de choses. On a proposé plein de formation pour pouvoir justement motiver, garder en animation nos équipes parce que c’est la plus value de cette maison, c’est les équipes. Et pour moi, c’est important de les maintenir comme ça. Aujourd’hui, on a envie de continuer à grandir, justement avec cette maison. Aujourd’hui… On n’a pas d’étoiles en 2010. On a réussi à mettre deux étoiles.

Il y a tout cet aspect transmission. Là, on parlait des équipes. Mais il y a aussi tout ce que vous faites à côté : la Semaine du goût où vous faites un peu ce côté transmission et éducation pour les enfants par rapport à une semaine où vous proposez, il y a le trophée Mille, il y a plein, plein de choses par rapport à ça. Toutes celles et ceux qui aujourd’hui, n’ont pas la chance, comme certains dans leur parcours, de côtoyer des Meilleurs Ouvriers de France comme vous. Quels conseils vous pourriez donner à cette générations qui est loin des grandes villes, des centres de formation mais qui est fan de gastronomie et souhaiterait mettre un pied dedans. Qu’est-ce que vous leur donneriez comme conseil ?

Le conseil, c’est déjà d’aller sur les marchés, d’aller sur les marchés, de découvrir justement le produit. L’artisan qui est derrière, de discuter avec lui. Ça fait déjà progresser l’esprit. Après, de pouvoir cuisiner un peu chez soi, bien entendu, mais ne pas hésiter à téléphoner. Je pense qu’il ne faut pas hésiter à téléphoner à des chefs. C’est vrai que « Je vais pas téléphoner à untel ou untel », mais peut être aller se déplacer pour aller voir aussi. Le restaurateur qui n’est pas très loin. Mais je suis passionné par la cuisine. Est-ce que je peux venir voir une journée chez vous ?

Est-ce que.. J’ai envie juste de… Moi, j’ai commencé comme ça. J’étais à l’école hôtelière. Le week-end, j’allais faire des extras, parce que j’avais besoin aussi d’avoir beaucoup plus de pratique. D’aller voir justement autre chose. Je pense qu’aujourd’hui, il ne faut pas hésiter, justement. Encore une fois, le monde d’il y a 20 ou 30 ans et d’aujourd’hui, il y a les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux, aujourd’hui, ça permet de communiquer. Ça permet aussi d’aller voir à droite, à gauche, de comprendre ce que font les chefs. Et franchement, il faut s’en servir de ça. Il faut s’en servir et ne pas hésiter à demander, discuter justement via ces réseaux pour les chefs.

Pendant longtemps, on sent que ça évolue, mais il y a beaucoup d’idées reçues sur lac métier de la restauration aujourd’hui. Qu’est-ce que vous pourriez casser comme idée reçue par rapport à ça ?

Idée reçue : voie de garage. Ça m’énerve d’entendre ça. C’était il y a 30 ans et je l’entends encore. Ça m’hérisse les poils. C’est un vrai métier, un vrai métier, manuel de passion. C’est un métier de passion, de pouvoir créer, de pouvoir travailler, de pouvoir respecter, de pouvoir faire plaisir, donner le sourire à un client. Des fois, des larmes ou des fois, des souvenirs d’enfance. Rien que ça. C’est génial, génial, génial.

C’est vraiment ça de pouvoir partager une passion. Pour moi, c’est le plus important aujourd’hui de ce métier et il ne faut pas dénigrer parce que justement, je pense qu’aujourd’hui, on est… Aujourd’hui, les restaurants sont fermés. Mais quand je vais aujourd’hui dans mon monde actuel, la restauration a quand même pris une belle mise en valeur, justement, avec des émissions télé aussi qui ont remis un peu tout le monde aussi dans les marchés ou derrière les fourneaux à la maison, ce qui permet de montrer ce qu’est ce métier.

J’ai lu une interview. Un de vos professeur, Roland Gauthin, dit que vous étiez discret et attentif. Un cursus assez simple : CAP, bac pro cuisine, mention complémentaire en pâtisserie. Il dit que l’ingrédient secret, c’est le travail et la motivation. Pour vous, est-ce qu’on est obligé de passer par les grandes écoles ? Moi le premier, mes parents c’étaient Bac +3, Bac + 5… Est-ce qu’aujourd’hui, travail et motivation, c’est vraiment les deux ingrédients ?

Je vais vous dire. Moi, quand je recrute quelqu’un, je l’ai en entretien. Je ne devrais pas le dire. Je ne regarde pas le CV. Je ne regarde pas le CV, je ne regarde pas son parcours. Je ne regarde pas s’il a un CAP, un bac pro, un BTS ou X ou X examens. Moi, c’est la lueur qu’il a dans les yeux. La petite étoile. Est-ce qu’il est motivé ? Est-ce qu’il est passionné ? Est-ce qu’il a un savoir-être ? Rien que ça, ça me suffit.

Moi, je bâtis mon équipe par rapport à ça, il faut que tout soit modelé de la même manière, c’est-à-dire une envie, une envie, une passion. Quand je vois la personne qui arrive ici et qui regarde un peu partout et qui a les yeux qui brillent. Et puis, quand il me voit, « Chef, bonjour ». Voilà.

Pour moi, il a déjà un pied dans la maison, il a déjà un pied dans la brigade. Et puis, après le fait d’avoir justement cette envie, qui va me parler de cuisine, qui va me parler de ses passions de tous les jours « Je vais à la pêche », voilà tout ce qui est lié un peu… Justement, et ça peut être l’art, tout ce qui est lié justement à la restauration. Ça me suffit et je n’ai pas envie de savoir s’il a fait telle ou telle école ou tel ou tel examen quoi.

Vous êtes un homme de challenge. Il y a beaucoup de choses que vous faites. C’est quoi un mental de chef étoilé ? C’est quoi vos trucs et astuces quand vous avez fait vos concours, quand vous avez fait la prise d’arme ici ? C’est quoi le mental Philippe Mille et vos trucs et astuces que vous pourriez donner ?

La remise en question au quotidien. Je pense que c’est important de se dire « Ok, aujourd’hui, tu fais ça. Mais tu peux te remettre en danger avec autre chose ». Se remettre en danger. Pour moi, c’est important. Ça permet de motiver, de garder un peu cette lumière allumée tout le temps et de pouvoir avoir cette dynamique réelle au quotidien. Les concours en faisaient partie. « Aujourd’hui, j’ai eu ma petite place. Je suis chef dans tel ou tel établissement, au Ritz, au Meurice ».

Je pourrais continuer comme ça. Et puis se dire « Ok, moi je vais me mettre en danger. Je vais faire un concours. Je vais combattre avec d’autres chefs à côté ou d’autres sous chefs, voilà… ». Ça me permet de dire « Voilà, j’ai pas obligatoirement le niveau ». Ou « Il va falloir que je travaille ici, que je travaille ça ». Et pour moi, ça, c’était très, très important. Encore aujourd’hui, quand je vais faire un plat, quand je vais aller voir un client « Voilà, ça c’était très, très bon ». 

Et puis quand je vois un client à côté qui dit rien. C’est bizarre, mais je vais oublier tout ce que le client m’a dit en positif, mais je vais juste me dire « Mais lui, il n’a rien dit ». Ou alors « Il m’a pas regardé, ou machin » et je vais focaliser là dessus. Et là, je me dis « Tiens, j’ai peut-être loupé quelque chose ». Ce qui est vrai ou pas vrai, mais j’ai besoin de ça, de me remettre un peu. Ce côté stressé du chef. Mais un bon stress, un très bon stress pour moi qui me motive et qui me remet dans ma cuisine et qui me dit « Bon ok, on va essayer de faire encore autre chose. On va montrer qu’on est encore au dessus ».

On parlait des concours, du restaurants… C’est quoi vos prochains challenges ? On parle de restaurant, on parle de livre, il y a beaucoup de choses. Les journées ne font que 24 heures. C’est quoi vos prochains challenges ?

Prochain challenge, Bah voilà, on a les producteurs… Je suis en train de préparer un autre livre plus sur l’artisanat. L’artisanat d’art. Les mains, parce qu’on ne les met pas assez en valeur. Un tailleur de pierre, un menuisier. Quelqu’un qui va travailler le verre. Et tout ça, nous, on les a. Ni plus, ni moins, dans notre milieu. Puis, on ne les regarde plus.

Aujourd’hui, on sait qu’on a un beau château et on ne se dit pas : « Tu as vu le taillage de la pierre ici », ou « Ces métaux qui ont été forgés, ont été travaillés, sculptés ». Il y a eu un travail énorme, mais on l’oublie. Et pourtant, ça fait partie de cette histoire, de cette maison. J’ai réussi à mettre les producteurs dans cette maison parce que ce domaine est là, en plein milieu de la Champagne. On a fait venir le champagne et les vignerons dans cette maison.

Je me dis qu’il manque encore les artisans, tous ceux qui ont travaillé dans cette maison ou qui travaillent dans d’autres. Voilà, on a la cathédrale. Il y a une histoire sur cette cathédrale. Et tout ça, j’ai envie d’en parler. Et aujourd’hui, je continue à construire ma cuisine par rapport à ça. « Comment ça, il construit sa cuisine avec de la pierre et du métal ? ». Mais ça, ça sera dans les prochaines découvertes. Et ouvrir au fur et à mesure. Mais c’est très, très, très, très cohérent.

Le bois. La douelle de Champagne exactement. Alors la douelle de Champagne, on peut en parler parce que ça, on a déjà commencé. La douelle de Champagne, première fois c’était chez Jérôme Viard, un tonnelier. Très, très beau tonnelier qui est à côté d’ici. Je vais chez lui, je vais voir un peu. À la base, c’était pour We Art Chef. Parce que We Art Chef, on a pas un plan de travail, on a des tonneaux sur lequel on a mis une planche et puis on travaille là-dessus parce qu’on voulait donner un peu ce côté très accessible. Et donc du coup, j’ai été cherché mes tonneaux pour ça.

« Tiens, il y a des vieux tonneaux. Qu’est-ce que vous en faites ? ». « Ça c’est des tonneaux où il y a eu 30 ans de vin dedans. Pour le moment, ils sont de son côté ». Et puis il me dit « Mais ça serait génial qu’on puisse travailler ». Et c’est de là, une fois encore, cet échange « Mais, ouais, ce tonneau il a une histoire, il a une vie, il a été imprégné dans tous les sens du terme. Et bien je vais l’utiliser ».

J’ai pris une douelle et j’ai commencé à poser un poisson dessus et à le cuire au four tout doucement. Puis, cet échange entre la mer et ce tonneau où il y a eu tout cet échange préalable entre le vin justement, le bois… Imprègne une certaine saveur, certains goûts… Je me dis « Tiens, il y a un vrai échange ». Et donc, du coup… On a commencé à créer des plats comme ça autour de ça. Et encore une fois, c’est vrai. C’est crédible. Mais prolonger l’histoire du tonneau pour y mettre aussi un produit. Je trouve ça magique.

Aujourd’hui, vous emmenez les équipes, il y a tout le côté transmission? Vous, de votre côté, vous avez un coach au sens large ?

Moi, je suis je suis un gamin en fait. Je suis un gamin, c’est-à-dire que je vais voir les les chefs qui ont 2, 3, 1 étoile. Mais j’aime bien discuter avec eux pour comprendre leur philosophie, comprendre leur vision de la cuisine. Des chefs de ma génération, mais aussi des chefs de l’ancienne génération. Ils ont un savoir, ils ont… avec monsieur Boyer, qui vient ici de temps en temps, j’aime bien passer une heure à discuter avec lui. 

Mais des fois juste à l’écouter… mais pour moi c’est… J’ai l’impression d’avoir lu un livre pendant une heure. C’est superbe de pouvoir avoir cet échange, d’avoir leurs expériences passées. Mais qui… On pourrait la transposer aujourd’hui, ni plus, ni moins. Et des choses plus que cohérentes, justement qui pourraient être remises au goût du jour qui peuvent continuer d’ailleurs dans cette histoire.

Sur une dimension un peu plus personnelle, si on ouvre le frigo de Philippe Mille, on trouve quoi à l’intérieur ?

Comme tout le monde. Tout à l’heure, on parlait que je faisais la semaine du goût, la semaine du goût, bon déjà je vais dans les écoles. Je fais des repas dans les écoles, dans les collèges, ça c’est important. Je trouve ça dommage d’ailleurs qu’il n’y ai pas plus d’éducation du goût dans les écoles, en amont. Aller visiter les potagers, faire découvrir des légumes, faire découvrir un peu différent… Bon ça, c’est une aparté.

Mais du coup, je vais dans les cuisines scolaires faire un menu pour faire découvrir. Et c’est dur ! Là, on parlait de se remettre en question, mais ce n’est ni plus, ni moins ça. Parce que l’enfant qui a 4-5 ans et qui pousse, qui ne goûte même pas, qui dit « C’est dégueulasse ». Mais c’est…

Pour moi, c’est une richesse. C’est une vraie richesse, parce que je vous dis : Comment on peut faire pour faire plaisir à tout le monde ? On ne peut jamais faire plaisir à tout le monde, bien entendu. Mais s’en approcher puis dire « Voilà ok, il a dit que c’était dégueulasse. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il n’a pas aimé ? ». Mais moi, ça me permet aussi de travailler dans ma cuisine derrière et dire « Sur cette table, il y a un enfant qui était là. J’étais là ».

Et du coup, j’ai construit aussi des menus pour enfants, par rapport à ça. Mais du coup, je ne sais plus la question. [Rire] Voilà, voilà. C’est ça. Et donc du coup pendant cette semaine du goût aussi, je fais des démonstrations pour des étudiants, pour Néoma, pour l’université, pour voilà. Et là, je prends ni plus, ni moins mon frigo, comme le leur. Parce que le frigo d’un chef étoilé, c’est le même que… Je suis à la maison, je suis comme tout le monde. J’ai ma salade, j’ai mon fromage, j’ai un peu de beurre, j’ai une carotte, j’ai un oeuf, j’ai des pâtes dans le placard, du riz, puis voilà… Enfin… je suis comme tout le monde.

Donc, du coup c’était c’est ça. C’est faire la cuisine par rapport à ce qu’un étudiant peut trouver aussi chez lui et pouvoir montrer qu’on peut faire la grande cuisine entre parenthèses. Sortir justement du « pâte-beurre » ou du « Pâte-ketchup », quelque chose d’un peu plus élaboré, mais avec les mêmes produits.

Et j’ai encore deux questions. La première, est-ce que vous avez une routine du matin. Des petits rituels que vous avez, peut-être avant de prendre le service, le matin au réveil…

Je ne sais pas si c’est un rituel… J’évite justement cette routine parce qu’une fois que l’on rentre dans une routine, pour en sortir, c’est pas évident.  Un rituel… Peut-être en arrivant ici. J’arrive sur le devant du château. Des fois, on oublie et quand on regarde un peu plus… On a de la chance quand même d’être ici. Et puis, justement quand je fais le tour du château et que je me mets devant ce parc ou encore la rosé des fois où alors un beau soleil qui éclaire déjà les sapins ou certains arbres.

On a beaucoup parlé d’art, de transmission et autres. Si vous aviez une recommandation en peinture, en dessin, en sculpture, en livre… Ce serait quoi vos dernières recommandations ou conseils ?

D’expo. Le Louvre. Pour moi, c’est vraiment magique parce qu’il y a une diversité justement d’œuvres et d’artistes. Que ce soit contemporain, que ce soit… Aujourd’hui, j’aime beaucoup le street art. Le street art, bon on peut le dénigrer parce qu’on dit « Voilà, c’est juste des coups de bombes ». Mais c’est pas que ça. Moi, j’ai… Le dernier, c’était plus du pochage. C215 qui fait passer aussi beaucoup de messages via des peintures. Très intéressantes.

En local, j’aime beaucoup Iemza. Iemza qui a son trait, son identité par rapport à son coup de crayon justement et qui met en valeur aujourd’hui, vraiment les architectures. Ça, c’est très cohérent aussi avec la prolongation de ma cuisine. Par rapport à ça. Prolongement. Bon voilà. Ça, c’est vraiment les artistes aujourd’hui.. En musique, ça dépend du moment. Ça dépend du moment. Ça va dépendre si je suis le matin, le soir. Si c’est après un service un peu mouvementé. Ou si je suis dans ma voiture, justement, à réfléchir.

Donc voilà, ça dépend vraiment du moment, le style de cuisine. C’est comme le champagne. Voilà, à un moment, il aura un goût différent où on a envie de si, on a envie de ça. Dans la musique, c’est pareil. Il faut être très ouvert, très ouvert. Puis, les sculpteurs, il y a des belles choses aujourd’hui et qui arrive. J’en ai découvert un dans la région qui va sculpter le fer, mais qui va justement retrouver la nature. Il va faire une branche, il va faire des feuilles, il va faire des racines.

Mais revenir à la base justement de ce qu’est la nature. Je suis plus orienté vers ça aujourd’hui. Puis, quand c’est local, moi ça me fait plaisir aussi. Ça montre qu’il y a une vraie richesse, une vraie richesse que ce soit le champagne, les producteurs à côté. Maintenant, on a les artisans, on a les sculpteurs, on a des dessinateurs, les musiciens… Enfin voilà. Il y a Barcella que j’aime beaucoup. Son style de musique qui fait passer des beaux messages. Et puis, on a des artistes, des musiciens qui sont très prenants et qu’on retrouve justement sur le We Art Chef justement à ce moment-là.

Si les gens voulait vous contacter pour vous poser des questions, vous leur recommanderiez de passer par Instagram, par le site ?

C’est vrai, qu’aujourd’hui c’est pas évident. On a la chance d’avoir ces réseaux et la malchance. Parce que du coup, ça… On diffuse beaucoup, un peu partout. Donc, il faut être fois très actif. Linkedin, Instagram, Facebook, le téléphone tout court.

Philippe, merci beaucoup.Est-ce que vous auriez une dernière chose à ajouter ?

Dernière chose. On parlait de transmission, on parlait de… Le plus important aujourd’hui, c’est de croire que l’entourage puisse y croire. Quand j’ai commencé le métier, quand j’ai voulu faire cet apprentissage. Je suis allé visiter différentes maisons. J’étais tout petit, tout maigre… J’ai des chefs qui ont été très violents avec moi, très violents dans les paroles. Et ça, c’est fini aujourd’hui…On me disait « Tu vas rester coller à la hotte, tu vas… ».

Et puis, j’ai eu des échecs. Quand j’ai commencé à être embauché, on m’a dit « T’étais pas fait pour ce métier, voilà il vaut mieux que tu arrêtes. Donc on va arrêter ton contrat et change de métier ». Et là, si on n’est pas accompagné, que ce soient les parents, les amis ou croire réellement en ce qu’on a envie, on peut vite être perdus.

Et aujourd’hui, c’est à nous « Chefs », ça fait partie aussi du trophée Mille, de pouvoir transmettre, de pouvoir aider les jeunes, de pouvoir les motiver, dire « Bon ok, on est derrière vous. Si vous avez quelques questions, quoi que ce soit, des doutes… n’hésitez pas ! ». Voilà aujourd’hui, ce serait dommage de perdre des pépites ou des perles dans le futur parce que mon… Aujourd’hui, ils n’ont peut-être pas l’écoute qu’il faut pour les motiver, pour leur donner, l’envie de continuer.

Geoffrey

Geoffrey

Curieux de nature, je me définis comme un slasheur : entrepreneur/brand Manager/coach professionnel. Chaque mois, retrouvez mes articles sur la création de marque et le coaching.

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