Foire aux vins – « Les vignerons ont une carte à jouer »

Geoffrey Orban Educavin Agence Discovery

La période post-Covid est en train de modifier profondément le visage de l’économie française. Certaines habitudes de consommateurs s’affirment. D’autres se modifient. Consommer mieux. Consommer moins. Consommer bon. Consommer local. Et par-dessus tout, consommer de façon responsable. Depuis le 11 mai 2020, la quasi-totalité des commerces peut de nouveau accueillir du public. Le respect des règles sanitaires demande néanmoins une grande flexibilité et des budgets, initialement non prévus, pour assurer la sécurité de tous. Rendez-vous incontournables des amateurs de vins, les foires aux vins vont devoir elles aussi s’adapter.

Créé en 1973 par la grande distribution, le concept des foires aux vins est véritablement lancé par le pionnier E. Leclerc. Organisée de mi-août à fin octobre dans toute la France, l’opération a pour objectif de reconnecter les consommateurs au rythme des saisons, d’aider les vignerons à faire de la place dans leurs caves et à dégager de la trésorerie avant l’arrivée de la nouvelle récolte. L’offre s’est désormais élargie avec l’arrivée de nouveaux acteurs. Cavistes et sites de vente sur Internet ont voulu profiter eux aussi de cette manne. À chacun son avantage : le conseil chez les cavistes, les prix serrés sur Internet, la praticité en grande surface. L’enjeu financier reste de taille pour les ventes de l’année.Les marques de vignerons ont pourtant tout intérêt à intégrer les foires aux vins. Peu représentées dans les catalogues, elles manquent souvent de connaissances et d’outils pour aborder les acteurs de ce circuit de distribution. Pour nous éclairer, Discovery le Mag a interviewé Geoffrey Orban, directeur de la société Educavin. Pour ce spécialiste, les marques de vignerons ont une carte à jouer lors des prochaines éditions.  

Pouvez-vous revenir sur le concept de la foire au vins ?

Il faut bien comprendre l’origine de ces foires aux vins. À l’époque, on vendait surtout des vins de table dans les magasins. Des personnes ont décidé de vendre des vins « un peu plus qualitatifs » avec un prix correct. C’est à ce moment-là que vont se développer des rayons permanents dans les magasins. C’est vraiment un acte fondateur de la vente de vin pour la GMS (ndlr : Grande et Moyenne Surface).



Aujourd’hui, les foires aux vins représentent environ 400 millions d’euros de chiffre d’affaires. Elles souffrent un peu avec l’évolution des modes de consommation, mais aussi de lois comme « Egalim » qui limitent les promotions qui ont fait beaucoup de mal sur les ventes de champagne. Cela représente – 34% des ventes l’année dernière (ndlr : source étude Nielsen). Les vins rouges sont également touchés. Il faut préciser que 50 % des ventes en foire aux vins, sont réalisées par le champagne et les grands crus de Bordeaux. Ce sont deux secteurs où la situation est compliquée, car les magasins ont engagé beaucoup moins d’achats sur ces produits. On voit que sur ces deux acteurs « clés », la chute est assez forte. Les foires aux vins doivent réussir à retrouver de nouvelles voies pour conquérir les jeunes consommateurs.

Ces acteurs vont-ils devoir s’adapter pour l’organisation de la prochaine foire aux vins ?

Depuis quelques années, les enseignes sont dans le négatif en ce qui concerne cette opération. Ça devient problématique. Il peut y avoir un peu d’appréhension des acteurs pour cette année. Mais les foires aux vins sont des rayons comme les autres. Les gestes barrières seront, je pense, adaptés dans ces rayons comme pour le reste. Ce qui est vraiment important, ce sont surtout évolutions d’achat en cours. Les producteurs qui nous écouteront, vont devoir aussi s’adapter. Tout ce qui est labellisé « AB » et « HVE » (N.D.L.R : Haute Valeur Environnementale), est en croissance partout, y compris lors des foires aux vins.

Et puis, la consommation a beaucoup augmenté hors foyer, excepté pour cet épisode Covid. Une part importante des acheteurs consomme de plus en plus chez les cavistes indépendants. Les jeunes apprécient davantage les vins blancs et les bulles. Des vins frais à boire à l’apéritif entre amis. Ces nouvelles tendances demandent un temps d’adaptation pour les vignerons. En Champagne, on est rentré dans ce type de circuit. Après, il faut trouver des nouvelles voies pour rentrer dedans.

Est-ce que le prix est un point important dans le catalogue de ces acteurs ? Doit-on s’attendre à une adaptation pour la prochaine foire aux vins ?

C’est ce qui est paradoxal. Ce qui fonctionnait bien, c’était le grand cru et les champagnes. Les champagnes, avec des remises bien sûr. Mais on s’aperçoit également que de plus en plus, les foires aux vins auront baissé le prix moyen. Est-ce ce qui a engendré une baisse des ventes ? Par contre, le fait de revoir la grille de prix permet de mettre de nouvelles appellations en avant. Là, on a de bons rapports « qualité-prix » que l’on voit un peu partout dans les opérations. Et les bonnes affaires sont là !

Comment le consommateur peut-il savoir qu’il fait une bonne affaire ?

Si on prend la région de Bordeaux, on va avoir les crus bourgeois de très bonnes factures à 5-6 €. On va également trouver des régions avec des appellations moins connues. Ce sont des vignerons, ou des belles coopératives de village qui ne travaillent que sur un secteur. Ils vendent un certain nombre de bouteilles très limité par rapport aux enseignes. On va trouver un ou deux cartons par magasin, c’est tout. Il faut être là le premier jour pour les avoir. On a vraiment des très bonnes affaires. Quelquefois connues par les conseillers, quelquefois non. 


Rayon de bouteilles chez un caviste - Article Discovery Le mag
©Brandy Turner - rayon chez un caviste

Comment le consommateur va-t-il pouvoir dénicher d’autres vins que les marques (re)connues lors de ces foires aux vins. ? 


De la même manière qu’ils vont déguster des vins dans les bars. Je pense qu’il faut faire confiance aussi à des appellations moins connues pour trouver des pépites. Dans ce cas-là, il faut se renseigner en allant chercher sur Internet, feuilleter quelques magazines spécialisés sur les foires aux vins… C’est à ce moment-là que les consommateurs pourront faire le tri et dénicher des choses très intéressantes. Il y aussi un effort à faire de la part des magasins. Quand je dis magasin, je dis caviste ou autres. Quelquefois, les catalogues sont mal distribués, parfois distribués un peu tard… Il faut faire également le buzz sur Internet en faisant des annonces, en donnant 2-3 références clés qui vont être vendues à un prix moindre que d’habitude.

Aujourd’hui, chacun doit organiser son événenement. Pour un vigneron champagne, pourquoi pas faire lui-même sa propre foire aux vins. De la même manière qu’il va organiser des portes ouvertes. En période vendange ou hors vendange, organiser une demi-journée spéciale foire aux vins du domaine où il met en vente ses champagnes et des vins tranquilles de ses collègues qu’il connaît bien. Je pense qu’il faut réinventer un peu ce moment « vendange », où le vin est à l’honneur et véhicule de belles valeurs humanistes et conviviales.

Le vigneron a vraiment une carte à jouer en s’associant à des producteurs d’autres régions ?

Effectivement, c’est une tendance de développer les produits régionaux pendant la foire aux vins. Ça permet de faire un attrait et de faire du local. Dans la région Champagne, certains magasins proposent vraiment des offres complémentaires aux offres de centrales d’achat. Dans ces cas-là, il faut se rapprocher soient des managers « liquide » des magasins ou du directeur. On sait que les foires aux vins réussies dépendent beaucoup de la volonté de chaque magasin de faire vraiment un bel événement. Il faut un peu pousser les portes et s’essayer.

Sur Internet, les cavistes indépendants augmentent très fortement. Je pense que ce sont des gens qui connaissent peu le champagne. Ce sont des personnes qu’il faut aller voir comme des prospects potentiels. C’est pour eux l’occasion de tester de nouvelles références de champagne et de les référencer par la suite. Il faut vraiment repenser l’offre de distribution. La petite et moyenne distribution magasin à ça part à jouer.

Quels conseils donner aux marques qui souhaiteraient démarcher ces acteurs ?

De manière isolée, c’est un peu compliqué. Ça pourrait être une démarche plus collégiale et encadrée. Par exemple, auprès des cavistes indépendants ou les Petites et Moyennes Surfaces. Notamment, les magasins de proximité de taille suffisante où il y a une carte à jouer pour les vignerons champenois d’aller vendre entre 400 et 1 000 bouteilles. Cela engage peu. Ou d’aller voir des magasins qui ont encore le droit de vendre ou de proposer en période de foire aux vins, ou hors période de fin d’année, des gammes complémentaires. Ça existe. C’est vraiment un outil intéressant et très valorisant, car les commerces de proximité vont jouer avec de l’affect. Les gens se connaissent tous et c’est là que l’on peut faire du qualitatif. On ne remplacera jamais les cavistes bien évidemment. Mais c’est un outil très intéressant qui n’est pas aujourd’hui développé.

Avec l’explosion des acteurs sur le marché (GMS, cavistes, internet), comment le vigneron peut-il choisir le bon circuit de distribution ?

Certains vignerons sont déjà engagés dans certains circuits. Ils ont déjà une belle clientèle de cavistes, d’autres utilisent d’autres voies de distribution. Il faut déjà réfléchir par rapport à son canal existant et pourquoi en développer d’autres. En clair, il faut aller se rapprocher de personnes qui ont l’habitude de voir un peu ce qui bouge pour essayer de développer de nouveaux concepts de vente et de distribution. On sait qu’en Champagne, le premier point faible des vignerons, c’est la distribution. Ils sont peu distribués dans toute la France et ça reste très compliqué. Le marché français n’est pas atone pour la Champagne. Mais les gens ne trouvent pas beaucoup de références de champagne à proximité de chez eux, en dehors des grandes surfaces. C’est le talon d’Achille des vignerons aujourd’hui. Faire connaître son champagne en dehors des métropoles est déjà compliqué, mais d’aller chercher dans les villages des relais de vente avec une problématique de logistique simplifiée reste très complexe.

Comment ces petits magasins peuvent-ils proposer une offre différente ?

À l’origine, chaque magasin faisait sa propre foire aux vins et recevait ses fournisseurs, faisait son sourcing, son dépliant… désormais tout est centralisé. Il faudrait revenir à une partie centralisée et une partie libre pour apporter un peu plus de qualitatif, de sélection par magasin.

Les magasins de proximité sont en train de se réinventer. Je suis en contact avec certains d’entre eux et l’idée est de pouvoir distribuer des vignerons répartis par magasin. Avoir un, deux ou trois vignerons différents par lieu de vente. C’est une voie intéressante parce que ça permettrait d’avoir une visibilité vigneronne un peu partout en France sur des créneaux de prix entre 18 et 25 euros. Un créneau avec peu d’offre de champagne.

On retrouve plus souvent des champagnes « entrée de gamme » ou des prix plus haut de gamme avec le négoce. Mais on trouve peu de choses entre les deux. C’est là où les vignerons ont une carte à jouer et y trouver leur compte sans pour autant faire des prix très bas. Il y a un jeu gagnant-gagnant sur ce créneau-là avec les magasins de proximité. On est sur une logique un peu différente, quelque chose d’affect et qui convient complètement avec l’esprit vigneron.

Beaucoup d’initiatives (#JaimeMonbistrot ou #JaimeMonVigneron) émergent pour soutenir la filière du producteur au revendeur. Comment les organisateurs de foires aux vins pourront soutenir les marques lors de la prochaine édition ?

Capture écran du site Internet J'aime mon bistrot
©Tous droits réservés – Capture d'écran du site Internet J'aime Mon Bistrot

Sûrement se rapprocher encore plus des producteurs. Ce qu’il faut rappeler, c’est que la grande distribution génère 70 % des ventes de vin en France. Elle soutient énormément la filière. Après, il faudra travailler avec eux sur cette réflexion. Ils ont su faire des caves plus qualitatives. Tous ne le feront pas ça, mais de leur côté, il faut réinventer par mal de chose. Si la filière peut aider… Le mieux reste de se mettre autour d’une table et de discuter. Ce sont des acteurs qui, malheureusement, se parlent peu en dehors des grands noms. Il faut inventer des choses d’un point de vue plus local. Et pourquoi pas une force plus collective.

Quels sont vos conseils pour les vignerons qui souhaitent aborder ce nouveau canal de distribution ?

Il faut toquer à la porte pour développer des gammes complémentaires. Être présent chez les marchés cavistes en proposant une ou deux cuvées pour l’événement. Après, c’est du commercial. Il faut développer le commerce pour les vignerons de champagne en essayant d’aller chercher des nouvelles voies de distribution. C’est très compliqué, car la connaissance du terroir champenois, de la logique Champagne en dehors des marques n’est pas encore très développée. C’est une voie de progression, mais nous ne sommes qu’au début. D’autres sont arrivés au bout. La Champagne a encore des choses à faire.

Le mot de la fin ?

Dans cette période complexe, essayons d’aider nos vignerons en achetant quelques bouteilles. Rien de tel qu’un moment entre amis autour d’un verre pour apporter du plaisir.

Interview réalisée avec Geoffrey Orban, société Educavin

Plus d’infos sur www.educavin.com

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Geoffrey

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Curieux de nature, je me définis comme un slasheur : entrepreneur/brand Manager/coach professionnel. Chaque mois, retrouvez mes articles sur la création de marque et le coaching.

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